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Couleur Lauragais : les journaux

Une fabrique de cannes à pêche en fibre de verre
à Escalquens

Jean Cassan est né à Toulouse en 1922, descendant d’une famille lauragaise venue de l’Aude s’installer à Escalquens et aux alentours.
Le père de Jean, Jean-Marie, crée une fabrique de cannes à pêche à Toulouse, dans les années 1932-33. Le développement de l‘activité et l’utilisation de nouveaux matériaux le poussent à ouvrir une seconde usine à Escalquens.
Jean Cassan s’est rappelé pour nos lecteurs ces années durant lesquelles il dirigeait son entreprise et nous livre les méthodes de fabrication des cannes à pêche de l’époque.


Jean Cassan


Création : une fabrique traditionnelle

Ce n’est pas un hasard si Jean-Marie Cassan crée les Etablissements CASSAN, fabrique de cannes à pêche : il était déjà sensibilisé à l’halieutique puisqu’il travaillait comme chef de fabrication aux établissements PONS, spécialisés dans les articles de pêche, rue Matabiau à Toulouse. En 1932, Jean-Marie décide de créer sa propre entreprise ; il s’installe au Faubourg Bonnefoy à Toulouse. L’affaire emploie au départ 8 à 10 personnes ; la facture est artisanale, à partir de matériaux naturels : roseau, bambou et riz. Jean Cassan commence à travailler avec son père après avoir obtenu son certificat d’études à Toulouse.

Développement : une entreprise moderne

Jean nous explique qu’avec l’apparition de nouveaux matériaux, il s’est avéré nécessaire de diversifier l’activité. Au début des années 50, une nouvelle entité est créée, spécialisée dans la canne en fibre de verre. Cette usine, la S.I.A.P. (Société Industrielle des Arts de Pêche) est implantée à Escalquens, où la famille Cassan a ses racines ; les bâtiments se trouvaient sur l’emplacement actuel du Garage RENAULT. A son retour d’Allemagne, où il a été envoyé pour le STO, Jean en prend la direction.


Canne légère en roseau à emmanchement


Le mur de brique, arrière de la fabrique, que l’on peut encore voir à Escalquens, route de Baziège (garage RENAULT).

Les deux fabriques produisent entre 1000 et 2000 cannes par jour et emploient une cinquantaine de personnes.

Les cannes sont vendues partout à des professionnels, dans la France entière et à l’étranger.

Les deux usines produisent deux types de cannes : la canne à emmanchement, plutôt utilisée pour la pêche au carnassier comme la truite ou le brochet et la canne télescopique, plus légère, pour la pêche au poisson blanc (gardon, goujon, ablette...).

Fabrication artisanale à Toulouse

Dans la fabrication traditionnelle, on utilise le touret (1) qui supporte l’outillage permettant l’élaboration de la canne ; cela relève d’un travail de menuisier (famille des métiers du bois).
A Toulouse, les perches de roseau viennent de la Côte d’Azur où l’on trouve, affirme Jean Cassan, la meilleure qualité de roseau ; bambous et riz sont directement importés du Japon. A partir de la matière brute on façonne des cannes de toutes les longueurs, correspondant aux différents types de pêche pratiqués.

Lorsque les perches brutes arrivent, il faut les nettoyer, les éplucher, et surtout les redresser. Puis on procède au montage des éléments l’un sur l’autre : jusqu’à 3 éléments par canne selon la longueur souhaitée.
Jean se souvient que chaque ouvrier est spécialisé : ceux qui nettoient présentent ensuite la perche aux coupeurs. Une fois les perches coupées, d’autres ouvriers les redressent : les cannes nettoyées et épluchées passent sur des rampes où l’on chauffe le roseau ou le bambou afin de le rendre malléable. Avec des presses en bois, on lui donne sa forme pour que la canne soit droite. Ce travail est très minutieux ; la réussite de cette étape conditionne son allure générale.
Puis on procède à l’opération de montage des parties, avec des viroles en laiton.
Ensuite les cannes sont ligaturées avec du fil poissé afin de les solidifier et de les rendre plus jolies.
C’est surtout du personnel féminin qui est employé à ces tâches. Les ouvrières tiennent le fil, qui est entraîné par le touret. La ligature se fera par la suite avec du fil de nylon. Enfin, les cannes sont vernies. Quelquefois, selon la commande, on pose des anneaux pour passer le fil.
Une fois terminées, les cannes sont emballées dans des caisses en carton et confiées à des transporteurs.



Les 3 éléments d’une
canne en bambou à
emmanchement

Fabrication moderne à Escalquens

On sortait d’une fabrication ancestrale pour se lancer dans la canne en fibre de verre. Il a donc fallu investir dans des machines modernes, plus sophistiquées. Jean importe des Etats-Unis :
- des machines à découper et rouler le tissu de fibre de verre : une ouvrière pose le tissu, conique ou cylindrique, enroulé autour du gabarit, appelé aussi mandrin (2) ; il est ensuite coupé aux dimensions nécessaires ;
- la rouleuse : cette machine roule un ruban de cellophane sur le tissu lorsque celui-ci a été fixé autour du mandrin ;
- les fours : l’usine était équipée de 2 grands fours de 4 compartiments chacun ;
- les coupeuses : machines à tronçonner les bouts des cannes, à l’aide de disques de diamant.

Les gestes à effectuer sont très particuliers. A la réception, le tissu de verre passe par la machine à découper et la rouleuse. L’ensemble est enfourné et cuit à 800°, température à laquelle se produit la polymérisation ; la résine fond mais est contenue dans l’enroulement autour du gabarit. Ce travail se fait à la chaîne, chacun effectue une tâche précise.
Pour le bout de la canne ou scion, partie la plus fine, on dispose de gabarits spéciaux ; cette partie est extrêmement fragile tant qu’elle n’est pas polymérisée. Il est notable cependant que le remplacement des scions en bambou ou roseau, par des scions en fibre de verre ultra-fins, a représenté une grande amélioration dans la solidité et la souplesse de cette partie.
Lorsque c’est cuit, on sort les appareils des fours et on arrache le mandrin à l’intérieur. Puis on nettoie l’élément, on tronçonne les bouts afin d’avoir une surface très propre. Les bouts sont coupés par les machines aux disques de diamant. On procède enfin à l’équipement des cannes.
Le responsable de la fabrication de cannes en fibres de verre doit avoir de bonnes connaissances en mécanique.

Ligature au fil de nylon : la bonne facture de la ligature conditionne la tenue de la canne.

 

 

Canne en fibre de verre
téléscopique : les éléments
s’emboîtent les uns dans les autres

Viroles en laiton sur les
cannes de facture
traditionnelle




L’enroulement du tissu de verre autour du mandrin donne sa forme à la canne

 

Une ambiance bon enfant

Jean Cassan se souvient avec émotion de la bonne entente qui régnait entre tous les ouvriers des deux fabriques. D’ailleurs, chaque année, le personnel était réuni pour une partie de pêche à Albias (Tarn et Garonne), au cours de laquelle les employés se retrouvaient et se divertissaient autour d’un bon repas.

Aujourd’hui, les deux usines ont fermé, celle de Toulouse en 1975 et celle d’Escalquens en 1984, lorsque Jean est parti à la retraite.
Jean nous confie sa fierté d’avoir contribué au développement économique d’Escalquens durant de nombreuses années (400 habitants à l’époque de l’implantation de la fabrique) en procurant du travail à plusieurs générations d’ouvrières et d’ouvriers, mais aussi aux agriculteurs ; il se souvient en effet que ceux-ci venaient travailler à l’usine l’hiver, et retournaient à leurs champs en périodes de semailles et de moissons.

En 1953, Jean Cassan fut appelé à exercer les fonctions de maire de la commune d’Escalquens, fonctions qu’il a remplies jusqu’en 1995 ; il fut également élu au Conseil Général, au canton de Montgiscard (de 1958 à 2001). On peut dire que c’est de famille, car un de ses oncles fut maire d’Escal-quens de 1904 à 1910. C’est à celui-ci que l’avenue de Cousse doit son nom.

Jean est un chef d’entreprise qui tout au long de sa vie se sera impliqué dans la vie économique et publique de sa commune.


Interview : Sophie BALDY

(1) Touret : machine-outil de petites dimensions, dont l’axe horizontal, commandé en rotation à sa partie centrale, porte à ses deux extrémités soit des meules, soit des disques en feutre, en coton, etc.
(2) Mandrin : appareil servant à tenir sur une machine-outil soit une pièce à travailler, soit un outil.

Crédit photos : couleur Média

Couleur Lauragais n°80 - Mars 2006